Dans la chefferie de Musungwa, à la frontière du parc national de Kafue, les éleveurs font face à un fléau silencieux : les attaques de hyènes sur les troupeaux de chèvres. Un phénomène en forte hausse, encore peu étudié, mais aux conséquences dramatiques pour les familles.
La nuit tombe sur les villages de Basanga, Iyanda ou Ibula. Dans ces zones rurales situées à l’ouest de la Zambie, à deux pas du parc national de Kafue, les chèvres rentrent dans leurs enclos. Mais ces dernières années, ce rituel quotidien ne suffit plus à les protéger. Les hyènes, autrefois peu nombreuses, rôdent désormais jusque dans les kraals, ces enclos traditionnels faits de troncs ou de branches. Et elles attaquent.
Entre juillet et septembre 2023, plus de 200 chèvres ont été tuées par ces prédateurs nocturnes dans la chefferie de Musungwa. Un désastre pour les éleveurs, qui ne disposent souvent que de quelques animaux pour nourrir leur famille, subvenir à leurs besoins et garantir un minimum de sécurité économique.
"Les attaques surviennent la nuit, parfois même à l’intérieur des kraals. On retrouve les carcasses au matin. Il n’y a pas de compensation, pas d’aide. Et surtout, on ne sait pas comment s’en protéger"
Un éleveur rencontré par Melindika.
Un problème connu sur le terrain, mais peu étudié
Alors que les attaques de lions sur le bétail font régulièrement la une des médias ou mobilisent les ONG de conservation, celles des hyènes passent inaperçues. Pourtant, les hyènes tachetées représentent une menace réelle, notamment pour les chèvres, qui sont plus vulnérables que les bovins.
Une analyse bibliographique menée par Melindika montre qu’en Zambie, très peu d’études ont été réalisées sur le sujet. Les recherches existantes se concentrent majoritairement sur les lions ou sur les grands carnivores et négligent les petits ruminants comme les chèvres.
Une étude de terrain inédite
Face à cette absence de données, Melindika, partenaire d’Elevages sans frontières, a lancé une enquête de terrain dans 7 villages de la chefferie Musungwa, pour mieux comprendre la réalité des attaques, les pratiques d’élevage caprin et les perceptions des éleveurs et des acteurs de la conservation.
👉 Télécharger l’étude complète (PDF) réalisé par Melindika
Pendant deux mois, 37 éleveurs et éleveuses ont été interviewés, ainsi que plusieurs membres d’organisations locales. Les résultats montrent que :
- Les attaques surviennent presque exclusivement de nuit ;
- Les hyènes réussissent à pénétrer même les enclos solides ;
- Les mesures de protection existantes, adaptées aux bovins, ne sont pas efficaces pour les chèvres ;
- Les éleveurs se sentent isolés et impuissants face à ces pertes répétées.

Le chien dressé de Melindika faisant plusieurs rondes autour de l’enclos à chèvres de shandavu la nuit

Enclos pour chèvre renforcé avec du grillage sur le
Shandavu Camp (camp de Melindika)
Des populations vulnérables et un contexte complexe
La région est habitée par deux groupes ethniques, les Ila, traditionnellement pasteurs, et les Tonga, agriculteurs sédentaires. Tous deux vivent au contact direct de la faune sauvage, dans une zone de transition entre parc national, zone de gestion de la faune (GMA) et zone ouverte où l’installation humaine est autorisée.
Le parc de Kafue, géré en partie par l’organisation African Parks, attire de nombreuses initiatives de conservation. Mais les populations déplacées lors de la création du parc et du lac Itezhi-Tezhi, dans les années 1970, vivent aujourd’hui dans des conditions précaires, en première ligne des conflits avec la faune sauvage, sans toujours bénéficier des retombées économiques ou du soutien espéré.

Exemple d’enclos présents sur la zone d’étude

Exemple d’enclos présents sur la zone d’étude
Des populations vulnérables et un contexte complexe
L’étude de Melindika vise désormais à proposer des solutions concrètes pour améliorer la protection des troupeaux caprins : adaptation des kraals, sensibilisation des éleveurs, collaboration renforcée avec les autorités locales. Un premier pas vers une meilleure cohabitation entre élevage et faune sauvage.
Elevages sans frontières soutient pleinement cette démarche car elle reflète notre conviction : la lutte contre la pauvreté rurale passe aussi par une meilleure prise en compte des réalités locales, y compris les plus silencieuses.
Le saviez-vous ?
- La Zambie abrite 19 parcs nationaux couvrant 30 % du territoire.
- La Province Sud, où se trouve la chefferie de Musungwa, concentre à elle seule 38 % de l’élevage caprin du pays.
- La hyène tachetée (Crocuta crocuta) est l’un des carnivores les moins étudiés dans la région malgré son impact croissant.

Thibault Queguiner
Responsable projet en Zambie
👉 Pour en savoir plus sur le projet « Des Lions et des Vaches » : c’est par ici