A quelques kilomètres de Ouarzazate, Belghizi est un village isolé. Dans cette oasis, vivent Nawal et Soukaina, deux femmes qui, à la vingtaine, cultivent des rêves d’élevage.
C’est un paysage quasi lunaire. Pas un arbre, pas une fleur. Quelques touffes d’herbes, ici et là. Des rochers, à perte de vue. De la poussière, qui s’envole au passage des voitures.
La piste naît à quelques pas d’un pont franchissant un oued presque asséché, après avoir laissé la porte de Ouarzazate quelques kilomètres auparavant. La route contourne les reliefs de l’Atlas, plonge dans les prémices du désert du Sahara.
Au milieu de cette palette minérale, une pointe de vert apparaît au détour d’un virage. Elle s’étend près du lit du fleuve, qu’on devine plus qu’on ne voit, et grandit à mesure que l’on s’en approche. Un filet d’eau s’écoule pourtant, et la végétation y puise la ressource dont elle a besoin pour s’épanouir. Quelques gigantesques feuilles de palmiers s’imposent à proximité de maisons, qui commencent à se dessiner. Une touche de rose enjolive le paysage, les lauriers sont en fleurs.
L’oasis de Belghizi. Nawal et Soukaina y sont nées. Elles y vivent encore, entourées de leurs familles. Elles y élèvent leurs premières chèvres et crayonnent leurs premiers rêves.

Route qui mène au village de Belghizi

Village de Belghizi, Région de Ouarazate, Maroc
Elever ou éduquer
A 22 ans, ceux de Nawal « ne sont pas encore fixés », nous dit-elle en balançant entre l’enseignement et l’élevage de chèvres. Ou peut-être les deux, après tout, le temps est encore devant elle. Chaque matin, elle se rend à Ouarzazate avec son frère pour apprendre le coran « par cœur », précise-t-elle, et pouvoir l’enseigner ensuite à son tour. Pendant ce temps, sa mère s’occupe du troupeau et du champ. Puis Nawal prend le relais et sa mère tisse des tapis l’après-midi. Elle nettoie l’enclos, nourrit, abreuve et soigne les cinq chèvres. Bientôt, elle bénéficiera de ses deux chèvres grâce à l’association Rosa, comme sa mère avant elle.
La coopérative Corosa est bien trop loin pour que le lait y soit transformé alors il est consommé au village.
« Les travaux publics sont venus prendre des mesures, les femmes espèrent que la route va être faite, ce serait une chance », envisage la jeune femme qui dit « souffrir de l’isolement »
« Nous n’avons pas accès à tous les fruits et légumes, il n’y a pas d’épicerie, regrette-t-elle. Les livreurs vont dans les villages mais pas jusqu’ici. » Et puis, elle s’ « énerve sur le réseau téléphonique », avoue-t-elle, les yeux rivés sur son portable. Il est difficile d’avoir un travail pour les femmes au village, poursuit-elle. Les hommes partent en ville, comme son père qui travaille à Rabat. Quand l’argent manque, une chèvre est vendue pour payer le crédit d’épicerie.

Nawal avec une des chèvres de la famille

Nawal et Soukaina dans leur village
Troc
Dans le village, on pratique l’échange entre les familles.
Il y a celles qui se consacrent au maraichage « car on n’a pas accès au souk ». L’oasis permet aux navets, oignons, fèves, aromates, persil, coriandre, tomates, piment, dattes, aubergines ou encore fèves de pousser.
Il y a celles qui élèvent des animaux et fournissent lait et viande, comme la famille de Nawal. La femme est impatiente de recevoir ses chèvres. Elle a rejoint la coopérative de femmes du village. Elle a même été sélectionnée par tirage au sort pour entrer au conseil d’administration, s’étonne-t-elle. « J’hésitais car j’avais peur des responsabilité, je suis encore jeune », confie-t-elle. Alors elle a refusé. Mais aujourd’hui, elle voit les activités faites avec son groupe et la façon de travailler et regrette sa décision.
En quelques mois, Nawal a assisté à trois formations proposées par l’association Rosa : estime de soi, modèle de coopératives et hygiène et habitudes de l’élevage. « Une chance », répète-t-elle. Sortir de sa routine, d’abord, sortir de son village, ensuite, rencontrer d’autres femmes, s’ouvrir sur de nouvelles thématiques : les arguments ne manquent pas.
« Les activités sont inoubliables, riches et bénéfiques pour les femmes et pour l’avenir du village », s’enthousiasme la future éleveuse.
Pâturage
Parmi ses voisines, il y a Soukaina. A 27 ans, elle vit avec ses parents, l’un de ses frères et sa sœur. Elle a quitté l’école à 11 ans « après avoir eu son diplôme », souligne-t-elle. Sa famille ne pouvait pas assumer les charges pour qu’elle aille au collège et elle souffrait beaucoup en classe. « L’enseignant venait à pied de Ouarzazate et n’était pas là tous les jours », se souvient-elle.
En janvier 2025, elle a bénéficié par Rosa de deux chèvres alpines qui ont depuis mis bas. Son enclos se situe dans les hauteurs du village. A quelques pas, se trouve un large enclos où les animaux de toute la famille pâturent. Près de 160 têtes, compte-t-elle en additionnant les chèvres alpines et leurs cousines locales. Soukaina les nourrit, coupe la luzerne au champ, nettoie l’enclos. Elle ne trait pas encore ses chèvres puisque l’une est pleine et l’autre nourrit son petit.

Soukaina avec une de ses chèvres

Soukaina dans l’enclos des chèvres
« Le camion ne vient pas collecter jusque Belghizi », remarque-t-elle
alors elle fera comme sa sœur : elle confiera le lait qu’elle n’aura pas consommé à son frère pour qu’il l’échange.
Estime de soi
Sa journée est ponctuée par les prières dont les horaires sont affichés au mur, et les tâches domestiques. Lessive, cuisine, ménage.
Soukaina aussi a été formée par l’association Rosa.
« Avec l’estime de soi, on regarde la répartition des tâches au sein du foyer pour ne pas se sentir invisibilisée, résume-t-elle. J’ai adoré participer à l’atelier. Je me sentais bien après avoir rencontré les autres femmes. »

Soukaina dans sa vie quotidienne

Soukaina et sa soeur
Car elle aussi souffre de l’isolement. Du manque de transport, de réseau, d’épicerie, d’accès aux soins. Aujourd’hui, elle est fière de sortir et rencontrer d’autres gens. Elle est fière aussi de s’impliquer dans la coopérative. Elle encourage les femmes à suivre ce chemin.
Pour l’avenir, elle rêve d’un enclos assez large avec y accueillir de nombreux animaux dont elle pourrait traire le lait ou vendre la viande occasionnellement lors des fêtes religieuses.
Comme dans ceux de Nawal, dans les rêves de Soukaina, les chèvres ont une place de choix. Un symbole d’autonomie alimentaire et d’indépendance financière dans cette oasis marocaine.

Louise Tesse
Rédactrice en chef
👉 Pour en savoir plus sur le projet « Envol des femmes » : c’est par ici