Des nouvelles des éleveuses de la Voie Lactée de l’Oubritenga au Burkina Faso

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« Des nouvelles des éleveuses de la Voie Lactée de l’Oubritenga au Burkina Faso »

Il y a quelques mois nous vous avions emmenés dans le village de Nakamtenga sur la commune de Ziniare, au cœur de la zone d’intervention du projet « La Voie Lactée des femmes de l’Oubritenga » qui vise une amélioration de l’entrepreneuriat féminin et de l’autonomisation des femmes. Adama Diallo, présidente du groupement féminin « Potan », avait été notre guide. Elles et ses consœurs avaient échangé avec nous sur les contraintes rencontrées par les femmes dans le développement de leurs activités d’élevage.

Début octobre 2021, nous sommes repartis à la rencontre de ces femmes pour une visite des 22 ménages des agroéleveurs de Nakamtenga engagés dans le projet : 12 dans le quartier Peulh Nonemtenga et 10 dans le quartier Mossi.

L’environnement a bien changé depuis avril. L’hivernage, saison des pluies des zones sahéliennes, a tout fait verdir et pousser. Nous traversons des champs d’arachides, de mil, de maïs et de sorgho. Les motos patinent dans la boue par endroits. Difficile parfois de trouver la bonne piste pour accéder aux concessions très éloignées les unes des autres. La place nue et poussiéreuse où nous avions fait notre rencontre en avril, à l’ombre d’un pauvre arbre, est maintenant noyée dans un océan de végétation. Malgré ce dédale vert, Iliasse Tiemtoré, le nouveau chargé de projet APIL exprime son inquiétude : « Tu as vu l’état de certaines parcelles… C’est pas terrible : ça pourrait menacer la sécurité alimentaire. » Le bilan des récoltes qui commence juste parlera et nous dira si la saison pluvieuse a été bonne ou mauvaise. Les villages sont déserts : tout le monde est aux champs. La pluie qui est tombée ce petit matin est propice aux travaux champêtres.

Djeneba Bandé qui nous avait montré les briques qu’elle avait rassemblées pour la construction de son étable, s’est faite « piéger » par l’hivernage. « Le champ collectif des hommes est maintenant en cultures. Il était prévu que je fasse construire mon étable là-bas. Le mil a poussé. Je ne peux plus installer mon bâtiment d’élevage maintenant. Dans la coutume, on ne peut pas couper les cultures comme ça. Je dois attendre après la récolte. Mais mon mari devra m’aider : toutes mes briques ont été gâtées par la pluie. » Est-ce la vraie explication ? Djeneba a-t-elle du faire face à une urgence familiale qui l’a incitée à utiliser l’appui projet ? Tout ne se dit pas parfois.

Adama notre guide de la dernière fois nous a rejoint et nous explique : « Sur les 12 femmes du quartier Nonemtenga qui ont été appuyées dans le village, elles sont deux à ne pas avoir pu construire leur étable. Nous avons toutes été appuyées par nos maris pour compléter la subvention donnée par le projet (60 000 FCFA = 92 €) et destinée à l’achat de matériaux. En ce qui me concerne, mon ménage a dû rajouter 200 000 FCFA (305 €) pour finir la construction recommandée par le projet (14 m², 10 feuilles de tôle, 9 poteaux, 3 chevrons, 1 chape en béton et des murs ou murets) ». Son étable est une des plus jolies et des plus avancées. Non loin de là, le hangar qui, en avril, supportait des résidus de culture et abritait 2 béliers et un taurillon a été démonté.

Abraham Kalaga et Awa Sawadogo, les animateurs d’APIL mobilisés sur le projet, sont satisfaits. Le message est passé : « Lors des réunions et des formations nous avions insisté sur le fait que si la femme est bien, tout le ménage sera bien. Le soutien des maris a payé ». Adama surenchérit : « Et vous nous avez bien accompagnées. Je peux dire que le suivi était fait à 150 %. A chaque fois ils étaient là : pour sensibiliser, pour expliquer, pour remettre l’argent, pour choisir le lieu d’implantation de l’étable, pour voir le rassemblement des matériaux et des matériels et pour suivre les constructions. »

Plus loin, nous tombons sur Salamata Bandé. Elle est parmi les animaux revenus du pâturage et se prépare à la traite. Sur les 16 vaches que compte le troupeau, seules 4 sont suitées [1] et donnent donc du lait. Un des veaux ne se sent pas bien : il ne tient pas sur ses pattes. Le vétérinaire a été appelé (« Meilleure santé ! » comme on dit ici). Salamata nous montre son étable autour duquel des petits ruminants s’ébattent. Elle pointe du doigt le tas de 350 briques en banco [2] que la pluie a gâtées et avec lesquelles elle comptait construire son bâtiment d’élevage. « Le maçon a tardé à venir. A 35 FCFA la brique, j’ai perdu 12 250 FCFA ; sans compter le transport : 10 000 FCFA ! ». Son mari Saïdou Bandé [3] l’a aidée et a racheté des briques, mais « en dur » cette fois-ci [4]. L’appui de Saïdou est louable et semble sincère mais il faudra veiller à ce que l’investissement réalisé ne justifie pas un contrôle exclusif de l’atelier d’élevage de sa part. Adama tente de rassurer : « Nos maris ne vont pas nous enlever ceci. Ils ne peuvent pas. » Elle complète les explications : « Les peulhs ne savent pas comment faire les briques. On doit les acheter et faire appel aux maçons. Ils ne sont pas toujours disponibles et avec la préparation de la fête nationale du 11 décembre qui va se dérouler à Ziniaré cette année, beaucoup sont mobilisés sur le chantier de la cité [5]. D’ailleurs j’aimerais que mon enfant s’initie à la maçonnerie ». Un marché est à prendre. Adama, femme leader précurseur avec toujours un temps d’avance sur ses consœurs, sa communauté, son temps…

Pendant ce temps, Salamata a commencé la traite d’une vache peulhe noire. Son veau est attaché un peu plus loin et observe ce partage du lait imposé par l’Homme. Le lait fuse dans la calebasse. La traite finie, il est détaché et autorisé à téter. Pendant qu’elle le détache, Salamata a laissé sa calebasse non couverte par terre. Ibrahima et Iliasse réagissent : « la formation sur l’hygiène de la traite sera la bienvenue ». Adama reprend sa voisine : « Des règles d’hygiène sont pourtant là dans nos coutumes traditionnelles : il est interdit de traire sans se laver les mains et il est interdit de déposer la calebasse de lait sans la couvrir ».

[1] Suitée = avec veau

[2] Banco = terre

[3]Au Burkina Faso, les femmes gardent leur nom de jeune fille.

[4] Brique en dur = parpaing

[5] Chaque ville qui accueille la fête nationale du 11 décembre se voit attribuer des subventions pour la construction d’une cité de résidence.

En poursuivant notre visite dans le village, nous croisons deux jeunes hommes en train de traire. Ils expliquent que « la femme » n’était pas là donc ils sont allés chercher le lait. Nous nous moquons de leur gourmandise et en rions avec eux.

Dans la partie Mossi du village [6], Halimata Ouedraogo, une autre éleveuse nous explique qu’en saison des pluies, elle peut avoir 10 litres de lait par jour avec les 10 vaches qu’elle a confiées à un berger peulh. A 600 FCFA le litre (0,90 €), c’est 6000 FCFA par jour (9 €) et 180 000 FCFA (274 €) par mois de revenus qui est possible. Une aubaine quand on sait que le revenu minimum au Burkina Faso s’élève à 35 000 FCFA (53 €). Au même moment, un collecteur passe sur sa moto, trois bidons en aluminium attachés à l’arrière. Pas le temps de le prendre en photo : le gars file ! Il fera peut-être parti des 15 collecteurs accompagnés et qui feront le lien entre les éleveuses et l’unité laitière prévue dans le cadre du projet. Halimata poursuit en expliquant qu’elle dépense beaucoup pour l’alimentation de ses animaux. « J’ai besoin de 3 sacs de 50 Kg de son de céréales chaque mois. Cet appui est indispensable en saison sèche et notamment pendant la période de soudure (entre mars et juin) où le prix du sac passe de 6000 FCFA à 8 000 FCFA voire 9 000 FCFA ». Le projet prévoit un appui en sac d’aliments pour pallier aux besoins alimentaires des vaches qui seront distribuées aux éleveuses.

[6] Le village est divisé en 2 parties : un « quartier » peulh (Nomentenga) et un autre mossi.

Non loin de là, Adama Bandé et sa femme nous montrent le tas de fumure qu’ils ont sortis de leur étable en construction et déjà occupée par des petits ruminants. Cette fumure sera mise en fosse pour compostage et servira à fertiliser leurs parcelles agricoles. Les pratiques promues lors de la formation de juillet sur la complémentarité entre cultures et élevages commencent à être appliquées et chaque personne visitée fait allusion à cette complémentarité.

Dans une des maisons situées de l’autre côté de la route goudronnée qui relie Ouagadougou à Kaya et qui coupe le territoire villageois en deux, nous ne trouvons pas Mariam Bougouma : elle est partie à la mairie pour une démarche administrative. Les rôles sont inversés : c’est Monsieur que nous trouvons dans la concession. Nongdo Ibrahima Ilboudo nous explique la démarche dans laquelle s’est engagée son épouse et qu’il soutient. Il faut dire que la perte de son emploi de revendeur d’oignons l’a incité à s’investir dans ce projet de valorisation du lait. « Ça fait 15 ans que je suis engagé dans l’élevage. Mais essentiellement pour la viande. Nous n’avons jamais vraiment exploité le lait de nos troupeaux. Le gros problème demeure l’alimentation des animaux : j’ai perdu 3 animaux par manque d’entretien. D’ailleurs à l’heure actuelle, nous n’avons que deux vaches qui produisent du lait. Seul un enfant maitrisait vraiment la traite dans la famille, mais il est parti à Bobo. Pour ma part, ça va faire 2 ans que je suis bloqué ici : avant je vendais des oignons en Côte d’Ivoire. J’avais l’argent ! Mais à cause de Corano quoi… ? Oui à cause de coronavirus, les frontières ont fermé et j’ai perdu une de mes sources principales de revenus. C’est à ce moment que nous avons entendu parler du projet et qu’APIL nous a encouragés à valoriser davantage le lait de mes vaches pour gagner plus. Je sais que ma femme pouvait vendre jusqu’à 2 litres de lait par vache par jour à 300 FCFA le litre si c’est à un collecteur et à 500 FCFA si elle va le vendre directement à un particulier en ville [7]». Il rentre dans la petite habitation située juste à côté de l’étable et en ressort avec le matériel utilisé pour la traite : un bol et un tamis pour filtrer les impuretés. Il mime le geste du filtrage puis nous présente le matériel fait maison utilisé pour empêcher le veau de téter : une corde bardée d’épines d’acacia qui est attachée au museau du veau pour faire fuir sa mère au cas où ce dernier tenterait d’approcher et de saisir le pis maternel (Aïe ! Aïe ! Aïe !). Ibrahima continue d’expliquer comment s’est passé l’investissement de son ménage dans le projet : « Pour la construction de l’étable, j’ai aidé Madame en achetant 8 tôles et 4 chevrons. Je l’ai aidée à chercher la main d’œuvre pour la construction. Mais le manque de professionnels et de disponibilité de ces derniers nous a incités à leur faire recommencer des travaux. La pente du toit était mal faite : j’ai tout fait refaire en leur faisant recouper les poteaux à la bonne hauteur pour avoir la pente voulue ». Il nous tourne le dos, traverse le chemin et part fouiller dans des buissons de végétation pour revenir avec les chutes des poteaux métalliques pour confirmer ses propos. Nous verrons Mariam une autre fois. Nous le quittons et poursuivons notre route.

[7] Le prix du lait varie entre 300 et 600 FCFA le litre.

En chemin nous nous arrêtons chez Emanuel Basga Birba, conseiller villageois de développement, un statut donné à des personnes qui représentent, suivent et conseillent leurs concitoyens villageois. Dans la Voie Lactée, ils ont aidé au ciblage des personnes éligibles au projet. Personne chez Emanuel. Il faut dire qu’il est bientôt midi et depuis 7h30 que nous sommes partis, les personnes n’allaient pas nous attendre sagement chez elles : le temps c’est de l’argent et les occupations et les obligations sont nombreuses en brousse. L’expérience d’élevage semble être présente chez Emmanuel : nous apprécions le poulailler amélioré et juste à côté l’étable. Le projet sert à ça aussi : accompagner à renforcer la stratégie de développement des exploitations familiales avec une possible diversification des activités d’élevage. Car « plus de sources de revenus = plus de sécurité ».

Nous terminons par Mme Aminata Rouamba et M. Tinsnoaga Birba (Aminata nous souffle doucement le prénom de son mari : ici dans le couple, les époux s’appellent rarement par leurs prénoms). Nous les trouvons chez eux : elle, courbée dans la parcelle d’arachides jouxtant la maison. Lui, occupé à son biodigesteur (un autre appui antérieur d’APIL et qui profitera du renforcement en élevage du projet). Ils laissent leur travail et nous partons à pied devant le terrain aménagé et réservé à l’atelier d’élevage laitier, quelques brassées d’arachides offertes par Aminata sous le bras pour calmer les estomacs qui se réveillent. Aminata et Tinsnoaga ont choisi ensemble le lieu d’implantation de l’atelier. Ils sont intéressés dans la diversification de leurs activités génératrices de revenus et par les appuis que propose le projet. Tinsnoaga a engagé les dépenses pour l’aménagement de l’atelier laitier avant même l’octroi de l’appui. Le plus dur a été la mobilisation de la ressource en eau pour monter les murs (ce ne sont pas les seuls à nous le dire ; dans le quartier d’Adama, le forage n’est toujours pas réparé depuis début 2021…) : « La borne fontaine est à 3 km, au bord du goudron. Nous avons fait venir 9 polytank [8] à 2 500 FCFA le polytank. D’habitude, c’est Madame qui se charge d’aller chercher 2 fûts d’eau tous les jours à 100 FCFA le fût. Si nous le faisons porter par quelqu’un d’autre nous devons payer 500 FCFA/fût. L’eau c’est vraiment un problème ». APIL et ESF doivent vraiment trouver avec les éleveuses une solution à cette question de l’accès à l’eau pour ne pas que l’approvisionnement indispensable en cette ressource pour la production laitière ne devienne une corvée pour les femmes.

L’étable d’Aminata et Tinsnoaga est vraiment agréable à regarder et pour s’y abriter. Le soleil est déjà haut dans le ciel est nous apprécions la fraicheur que nous trouvons à l’intérieur. Il faut dire que Tinsnoaga a pris l’initiative de changer l’orientation des briques pour avoir des murs plus épais et plus durables. L’isolation s’en trouve renforcée. Les tiges de céréales vert tendre qui frôlent le bâtiment renforcent cette sensation de fraicheur et sont prometteuses d’alimentation pour les animaux avec la valorisation des résidus de cultures.

[8] 1 polytank = 1 000 litres

Et quelle bonne idée d’avoir prévu une aire de circulation pour les animaux. Nous avons trouvé la même initiative chez Halimata Ouedraogo dont le mari a souhaité augmenter la capacité d’accueil de l’étable (mais le projet de construction, même si très avancé, a pris un peu de retard car cela demande plus d’efforts pour rassembler les fonds nécessaires). D’autres éleveuses nous ont parlé des aménagements pour améliorer le bien-être des animaux : comme chez Hawa Ouedraogo ou chez Mariam Bandé qui montent plus haut en murs les façades les plus exposées à la pluie pour mieux les protéger. APIL et ESF sont en train d’inventer une 3ème voie d’appui projet entre cadrage/orientation et responsabilité/prise d’initiative des bénéficiaires. Un apprentissage qui demande un suivi rapproché et qui ralentit parfois la mise en œuvre du projet, mais qui permet une recherche-action et une meilleure appropriation par les bénéficiaires.

Nous quittons Nakamtenga. La salle de classe initiée par Adama est en pleine effervescence : une dizaine d’enfant chantent, répètent ce que dit l’institutrice et jouent sur les nattes disposées devant le tableau. La leçon d’aujourd’hui : apprendre autour du dessin de tomate réalisé sur le tableau noir. Adama me rappelle l’histoire : « j’ai commencé à enseigner toute seule sous cet arbre ». Un des enfants est souffrant. Allongé sur la natte, il ne peut suivre comme les autres les enseignements dispensés. Parfois la vie donne des épreuves qui ne permettent pas de suivre le rythme souhaité. Surcharge de travail domestique ou champêtre, manque de soutiens, pandémie, perte d’un emploi : les ménages des éleveuses engagées dans le projet de la voie lactée de l’Oubritenga en savent quelque chose. Les 75 premières éleveuses appuyées dans le renforcement de leurs moyens de production ont fait de leur mieux pour rassembler les ressources (temps, énergie, argent, soutiens…) pour construire leurs étables. Cette amélioration des moyens et des capacités doit encore se poursuivre avant d’accueillir les vaches octroyées par le projet.

Adama conclut notre visite en s’inscrivant parfaitement dans la philosophie du projet : « C’est mieux d’avoir peu de vaches mais de bien les élever et qu’elles soient productives. Je connais des éleveurs qui sont capables de perdre chaque année 20 à 40 animaux par an. Mais à quoi cela sert ? Nous allons appliquer les pratiques apprises avec le projet et réussir ».

A bientôt pour vous donner d’autres nouvelles des éleveuses de l’Oubritenga !

Sylvain Gomez, Responsable de projets et Coordinateur régional pour l'Afrique de l'Ouest

Projet soutenu par le CFSI/Fondation de France et par la Fondation Danièle Raja Marcovici

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