Présidente de l’association marocaine Rosa pour le développement de la femme rurale depuis sa création en 2005, Hassania Kanoubi raconte cette aventure humaine. Et quelques autres.

« Soyez les bienvenues »
En ouvrant les portes de sa maison de Ouarzazate, Hassania Kanoubi prononce ces trois mots, un large sourire sur le visage.
Trois mots qui résument le sens de l’accueil, si fidèle aux Marocains.
Trois mots qui invitent au partage, si cher à cette femme ultra-engagée.
Trois mots qui encouragent à en écouter bien d’autres, confortablement installées dans son salon aux spacieuses banquettes.
Qui donne... reçoit
Voici vingt ans qu’Hassania Kanoubi préside l’association Rosa pour le développement de la femme rurale. Un nom inspiré de la vallée des roses, à une centaine de kilomètres de Ouarzazate, pourrait-on croire. Mais en réalité, Rosa est le diminutif d’une Américaine, Rosalee Sinn.
Rembobinons. L’histoire remonte aux années 1990. A cette époque, Hassania Kanoubi travaille pour International Goat association, une ONG américaine qui accompagne les femmes rurales autour de projets d’élevages de chèvres. L’animatrice voyage de conférence en conférence aux quatre coins du globe. En Afrique du sud, elle rencontre André Decoster et Rosalee Sinn. Le premier, Lillois et fondateur d’Elevages sans frontières, perçoit la chèvre comme un formidable facteur de développement. La seconde œuvre dans l’univers caprin de par le monde, et reconnaît en la Marocaine la jeune femme qu’elle a elle-même été.
Avec Hassania Kanoubi, voici le trio constitué prêt à monter un nouveau projet dans la région de Ouarzazate. La Marocaine pose ses conditions. « Nos races locales ne sont pas suffisamment productives, argumente-t-elle, en faveur de l’importation d’autres, qui, elles, génèrent du lait. »
Ce sera un troupeau de chèvres alpines qui voyagera en camion et suscitera la curiosité des habitants, persuadés que le véhicule transporte des gazelles, se souvient la fondatrice et présidente de la nouvelle association. En 2005, les 105 premières chèvres sont réparties dans cinq villages, à raison de deux têtes par famille et d’un bouc par village. L’année d’après, 125 de plus peuplent les enclos marocains. « On applique le principe de QRD, souligne Hassania Kadoubi. Qui reçoit… donne. »
Ce « passage de don » permet au cheptel de grandir en même temps que le nombre de familles bénéficiaires. Et puis Rosa mise sur la transmission, de mère en fille, c’est important pour sa présidente qui encourage le marrainage. L’association recrute aussi des animatrices qui accompagnent les éleveuses dans l’application de « bonnes pratiques » pour améliorer « l’élevage traditionnel », explique la technicienne agricole. Des formations, en santé animale, génétique, hygiène de la traite, professionnalisent les gestes.
100% féminine
En 20 ans, une centaine de villages ont bénéficié de l’accompagnement de Rosa.
« 20 ans de réussites, 20 ans de fiertés, applaudit sa présidente, et ce grâce au sérieux de l’équipe 100 % féminine ! »
En 2008, la construction d’une fromagerie démarre. Pendant que les murs prennent forme, dans la cuisine de Rosa, les femmes testent la transformation du lait et produisent leurs premiers fromages artisanaux. Ce « modeste savoir-faire », dixit la modeste présidente, est transmis à l’équipe, puis approfondi à base de formations, sur place, en France ou encore aux Pays-Bas. En 2010, les premiers fromages et yaourts au lait de chèvre sortent de la coopérative Corosa qui emploie désormais trois salariées. Rosa se concentre sur la formation et l’accompagnement des femmes, Corosa regroupe les éleveuses qui ont bénéficié des chèvres, toutes deux sont soutenues par Elevages sans frontières. « Notre ambition est de développer d’autres unités de transformation à l’échelle régionale et devenir une référence dans le sud », parie Hassania Kadoubi.
Pour autant, le fromage de chèvre n’est pas dans les habitudes marocaines, confie la présidente qui chuchote même une marque d’une race bovine souriante. Mais Ouarzazate est une ville touristique, l’Hollywood africaine, et les hôtels et restaurants réclament les yaourts et les fromages frais et à pâte dure artisanaux, aromatisés au safran, au cumin et au thym de Corosa. Entre 500 à 600 litres de lait sont transformés chaque jour pendant la haute saison et s’écoulent aussi sur les marchés. En période plus creuse, quelques litres seront transformés en savons artisanaux, depuis que les femmes ont été formées au printemps 2025.
Et puis Clinton
C’est qu’à vingt printemps, justement, Rosa a des projets plein la tête. Un peu comme sa présidente, qui a voulu se lancer en politique. Parce que « si je ne fais pas la politique, la politique s’impose à moi », dit l’élue de la chambre régionale depuis 2021. Par sûr qu’elle rempile, elle était surtout là pour voir. Elle regrette tous ces « obstacles aux promesses données lors de la campagne électorale » et retient qu’en faire, des promesses, c’est facile, les tenir c’est différent. « Nous ne sommes pas un groupe homogène, nous avons des visions politiques différentes. Mais nous devons voter ensemble pour les projets.«
Des projets, elle en a d’autres.
- Vice-présidente de l’association Basma, jadis accompagnant les enfants abandonnés, se consacrant aux personnes âgées maintenant que « les enfants ont quitté l’association pour le centre de la princesse sur décision du gouvernement », justifie-t-elle.
- Vice-présidente, également, de la fondation du Grand Ouarzazate qui soutient les projets culturels.
- Représentante internationale pour le Maroc de l’International Goat Association, celle par qui tout – ou presque – a commencé.
- Etudiante, préparant un diplôme d’ingénieure en aménagement hydraulique agricole.
« La seule chose qui m’arrêtera sera la santé »
annonce sans grande surprise cette hyper-active qui se lève tôt pour préparer le petit-déjeuner et le partager avec son mari, maintenant que les enfants ont quitté le nid. Tous trois écrivent une page de leur histoire en France, et reviennent au nid, évidemment, dès que possible. Il y a eu des fiançailles, récemment, quelques jolis présents exposés dans le salon en guise de souvenirs le prouvent.
A quelques pas, ce sont des diplômes et récompenses qui sont accrochés aux murs, autres souvenirs d’autres époques. Ici, une formation, là, la « personnalité 2015 du Maroc », encore ici le « prix 2018 du meilleur projet pour Rosa », encore là, la rencontre avec Bill Clinton. « Ah oui, je n’en ai pas parlé« , sourit celle qui a dîné, rien que ça, chez Bill et Hilarie Clinton en 1990, avant la Maison Blanche mais quand même.
Transmettre, partager
Transmettre et partager : deux principes qui résument le parcours d’Hassania Kadoubi. « J’ai implanté les idées que j’avais, aujourd’hui l’équipe prend la relève », conclut la présidente.
« J’ai vu mes rêves se réaliser. »
