Haïti : les écoles paysannes, un dispositif d’éducation informel prometteur pour les jeunes
En Haïti, 65% de la population est rurale et pratique l’élevage familial traditionnel dont l’élevage bovin (environ 700 000 familles). Pourtant le pays est en pénurie de lait, 2ème poste budgétaire d’importation de produits alimentaires après le riz. En effet, la filière laitière haïtienne fait face à de multiples difficultés : le lait est un produit très périssable et doit être transformé pour être conservé plus longtemps alors que le manque de capital et d’infrastructures est important. Les périodes de surproduction et de rareté alternent sur un marché dominé par le lait en poudre importé. A cela s’ajoute les crises socio-économiques (multiplication des gangs partout dans le pays, kidnapping, rareté du carburant, etc.). Le pays vit dans une insécurité alimentaire sans pareil. Cette situation frappe tous les secteurs d’activité en commençant par l’agriculture et l’élevage. Ce dernier rencontre des difficultés pour son développement à cause du manque de soutien technique ; de la faible disponibilité en fourrages, en intrants et infrastructures d’abreuvement ; d’un manque d’accès aux soins vétérinaires, aux crédits et aux connaissances. Ce qui limite grandement la productivité des systèmes d’élevages bovins-laitiers. L’accès au marché des produits laitiers est tout aussi difficile et ce dans un contexte où les produits importés font une forte concurrence aux produits locaux. Or, les activités d’élevage, notamment la production de lait, si elles sont bien conduites peuvent constituer une alternative financière intéressante à certaines activités dégradantes de l’environnement. Pour répondre à ces problématiques, le CEHPAPE(1) en partenariat avec ESF et l’AJDL(2) mettent en œuvre le projet Le Lait de Collines de Lascahobas cofinancé par l’AFD(3). Ce projet vise à améliorer la sécurité alimentaire et les conditions de vie de la jeunesse rurale haïtienne par le développement d’une filière lait local durable. Au cours de ce projet de 3 ans (Octobre 2020-Septembre 2023), les bénéficiaires du projet pourront accéder à une activité économique rémunératrice en lien avec les différents maillons de la filière lait local. Pour y parvenir, le projet LDCL met en œuvre notamment depuis 2 ans une approche de conseil novatrice : « les Ecoles Paysannes ». Qu’est-ce que les Écoles Paysannes (EP) ? Ces sont des rencontres qui facilitent l’échange de savoir-faire entre pairs et l’apport de connaissances sur la gestion et conduite d’élevage bovins-laitiers. Un groupe « école paysanne » est constitué d’une trentaine de personnes. Les participants sont les 400 bénéficiaires du projet issus des différentes localités où le projet intervient. Chaque rencontre entre agro-éleveurs est préparée avec les animateurs EP et l’équipe technique du projet sur une journée. Ce sont les animateurs qui convoquent leurs participants pour une rencontre de 2 à 3 heures pour échanger et acquérir des savoir-faire théoriques et pratiques sur la conduite et la gestion d’un atelier d’élevage bovin laitier. Quels sont les objectifs des Écoles Paysannes ? L’école paysanne comme dispositif d’éducation informelle pour jeunes et adultes a pour principal objectif de : Renforcer les connaissances et les capacités de prise de décision des familles d’agro-éleveurs dans le développement de leurs activités d’élevage Motiver les familles pour qu’elles transmettent leurs connaissances Améliorer les capacités d’organisation des familles d’agro-éleveurs par la formation, l’accès à l’information et aux connaissances des acteurs sur leur territoire Promouvoir une approche d’équité de genre et transgénérationnelle. Quelles sont les modules de formation dispensés ? Les techniciens de l’équipe projet dispensent plusieurs modules de formation pratiques sur la conduite d’élevage bovin-laitier sur les aspects suivants : La préparation de rations alimentaires La gestion des chaleurs et la monte, les mise-bas, le cycle de lactation et des mises bas La traite et l’hygiène La commercialisation du lait La gestion économique. Ce dispositif s’appuie sur la conduite d’expérimentations collectives pour la validation et l’introduction de nouvelles pratiques : L’établissement d’une parcelle fourragère La fenaison et la préparation du fourrage L’établissement de clôtures et haies vives comme banque de fourrage et protéines La production de compost enrichi de fumure animale, la lombriculture, l’ensilage. En plus de ces aspects, l’accent est mis sur l’intégration de l’élevage aux autres cultures de la ferme (agroécologie) et aux contributions de l’élevage à l’amélioration de la nutrition et de la sécurité alimentaire des familles. La présence des Écoles Paysannes dans les localités du projet participe à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes agro-éleveurs. Grâce à elles, ils gèrent mieux leur cheptel bovin et arrivent à dégager davantage de revenus de leur activité. Témoignage d’un animateur en École Paysanne Pollas kesner « Je suis Pollas kesner, l’un des 13 animateurs du groupe Ecole Paysanne qui travaille dans la localité de Loparonne. Mon rôle est d’animer des formations afin d’aider les agro-éleveurs à mieux gérer leurs activités. Le projet Le Lait des Collines de Lascahobas est une opportunité offerte par les trois partenaires (CEHHPAPE, ESF & AJDL). A nous, agro-éleveurs, de saisir cette belle opportunité. J’anime toutes les rencontres sous la supervision de l’équipe technique du projet. Selon moi, le projet apporte beaucoup. Avant, personne n’avait l’habitude de cultiver des fourrages pour les animaux et de recevoir des formations sur des thématiques aussi professionnalisantes. Grâce au projet, nous avons une réserve de fourrages suffisante pour alimenter les animaux et chaque participant est maintenant en mesure de préparer des foins. Je souhaite aujourd’hui que mon groupe deviennent un groupe d’entrepreneurs importants dans la commune en matière de production de fourrages, du compost, de lait pour approvisionner la laiterie et pourquoi pas de bovins laitiers de race pure. Les petites exploitations familiales sont aujourd’hui le moteur de la production animale si l’État dispose de techniciens pour les encadrer. Les agro-éleveurs du pays et spécialement ceux de Belladère devraient être davantage soutenus afin que la filière puisse continuer à se structurer et à se développer ». Thibault Queguiner, Responsable projets (1) AJDL : Action Jeunes pour le Développement Local(2) CEHPAPE : Centre Haïtien pour la Promotion de l’Agriculture et la Protection de l’Environnement(3) AFD : Agence Française de Développement