Retour sur la table ronde : « Mon lait est local, et le vôtre ? »

En partenariat avec le CFSI et Science Po Lille, l’association Elevages sans frontières organisait jeudi dernier une table ronde autour du thème « Mon lait est local, et le vôtre ? ». Cette table ronde faisait écho aux campagnes récentes  « Mon lait est local » menée au Burkina Faso et « N’exportons pas nos problèmes » en Europe. A la table ronde, ont pris la parole : Rekia Siwa, éleveuse du Niger, Samuel Bar, éleveur du Pas de Calais, et Bruno Guermonprez, agro-économiste spécialiste de la Politique Agricole Commune (PAC). Ces 3 témoignages complémentaires ont permis de dresser un tableau sans concession de la situation complexe dans laquelle se trouvent les éleveurs d’Afrique de l’Ouest comme ceux d’Europe. La fin des quotas, décidée par la Commission européenne a en effet entraîné une hausse de la production pour celles et ceux qui le pouvaient en Europe, tout en précarisant les plus vulnérables tant en Afrique de l’Ouest qu’en Europe. Découvrez les témoignages de nos intervenants : Rekia Siwa : « Au Niger, le lait est une source de revenus [pour les femmes]. Mais aujourd’hui, un problème a mis une grande barrière entre nous et nos revenus. C’est la poudre [de lait] qui vient d’Europe (…). Nous, on ne peut pas avoir le marché, et ça ne nous donne pas le courage de produire… parce qu’après, tu ne peux rien faire du lait que tu produis ». Face à cela, la campagne «  Mon lait est local » est lancée le 1er juin 2018. Et ce n’est pas une fake news contrairement à ce que certains politiques pensent ! » Dans le cadre de cette campagne, les éleveuses et éleveurs demandent une meilleure identification de l’origine et de la composition des produits, pour que le lait en poudre, de surcroit réengraissé à l’huile végétale, ne soit pas étiqueté « lait », avec même parfois une photo de vache locale. Bruno Guermonprez : « Le point de départ, c’est la sortie des quotas laitiers ». La production européenne devient supérieure à la consommation et les exportations augmentent de 40%. En parallèle, la demande de beurre augmente très fortement dans le monde, donc les industriels cherchent un moyen de valoriser les sous-produits du lait : la poudre de lait écrémée. « En synthèse, on a de la poudre de lait écrémée pas chère, de l’huile de palme pas chère. Alors qu’est-ce qu’on en fait ? On exporte de la poudre de lait réengraissée à l’huile de palme, sous l’appellation lait ». Alors que ce n’en est pas. C’est cette poudre de lait qui, exportée à bas coût et vendue environ 30% moins cher que le lait local, menace les éleveuses et éleveurs d’Afrique de l’Ouest. Samuel Bar : « Ce qui nous arrive et ce qu’on vit, cela correspond à une vision politique de personnes qui ont décidé pour nous ! ». En France, la fin des quotas est vécue de manière très différente selon les exploitations. « Dans ce contexte de libéralisation des marchés, ce sont les exploitations les plus petites et les plus fragiles qui ont été éliminées (…). Ce sont alors des fermes qui disparaissent, des territoires qui se reboisent et se ferment ». Si la décision était prise de changer de système, cela ne se ferait pas immédiatement car « réorienter des systèmes, ça demande du temps et des moyens ». En effet, c’est tout un outil industriel qu’il faudrait réformer afin d’adapter les unités de transformations, les fermes, etc. Pour arriver à cela, il faudrait « réapprendre à coopérer. Tant qu’on ne retravaille pas la culture de coopération ça ne changera pas. Cette culture n’est pas innée, il y a des efforts à faire à ce sujet ». Et la suite ?… « C’est le début, et on n’est pas fatigués ! » a lancé Rékia. Le chemin ne s’arrête donc pas là. Les transformateurs en Afrique de l’Ouest sont interpellés pour utiliser plus de lait local, et les pouvoirs politiques pour mettre en place plus de protections douanières. De son côté, Samuel valorise le rôle prépondérant des pouvoirs politiques européens pour imposer plus de régulation et orienter les modes de production vers des systèmes plus durables. Il lance enfin un appel à la cohérence des citoyens entre leur acte d’achat et leurs revendications car la consommation joue un rôle déterminant. Cette table ronde a accueilli 50 participants issus de différents milieux professionnels ainsi que des étudiants. Nous espérons que cette diversité de parcours et de personnes permettra de poursuivre des dialogues constructifs !